J’arrive généralement sur les hauteurs en début de soirée, un poil avant la nuit. Le temps pour moi de trouver un endroit stratégique qui surplombe la ville, un petit espace au calme et bien dégagé de préférence. J’ai comme ça autour de Marseille quelques planques perdues au beau milieu de rien, nichées en pleine nature là où la garrigue exalte le thym et le romarin ; des petits coins discrets suffisamment désertés de toute présence humaine pour que je m’y installe l’esprit tranquille. J’en change tous les jours, histoire de ne pas me faire repérer par mes petites habitudes.
Je commence généralement par manger un bout, le cul sagement posé sur la roche, les doigts de pieds tressés dans un brin de lavandin, le regard posé avec amusement sur la ville en contre bas. Malgré les jours qui se rallongent, 20H c’est l’heure où par obéissance aux règles établies, les gens s’enferment chez eux pour y engloutir simultanément leurs plats tout faits décongelés dix minutes plus tôt et le journal de Claire, un réchauffé de la veille… 20 H c’est aussi le moment où les gens se rassurent chez eux derrière leur porte blindée et leur serrure quatre points, entourés de leur famille aux échanges « wifi Secure », le tout baignant dans un très esthétique bonheur made in facebook, bien à eux lui aussi… C’est étrangement l’instant où les uns après les autres, les différents quartiers de la ville s’éteignent doucement à toute forme de vie, respectant le couvre-feu instauré au nom de « sainte sécurité » mère de toutes les luttes antiterroristes, famille nombreuse tant il y a de monde qu’y s’en revendique. Dans quelques minutes, pour l’heure du film, la ville aura changé de peau ; pendant qu’une vie par procuration télévisée commencera pour les uns, colorant les fenêtres d’un halo bleu scintillant, pour d’autres c’est le quotidien du jeu du chat et de la souris qui se répétera ; Braver le couvre feu pour aller faire les prix et l’ambiance des marchés noirs, c’est s’afficher comme terroriste potentiel, devenir la cible des services de sécurité, risquer sa peau pour afficher sa différence. Être en dehors des clous est devenu une pratique à haut risque, trafiquants de bonheur, vendeurs de pommes kokopelli et autres délinquants élevés à l’agriculture raisonnée ont la vie dure. Il faut se jouer de la police et de l’armée aux aguets, se faufiler dans les ruelles jusque dans les squares, s’approprier l’espace a la discrétion des caméras de la ville. Malins, rapides et organisés, ceux pour qui la survie se pratique au quotidien, vivent avec le sourire et parfois même avec l’espoir en prime… Quand on peut, entre deux patrouilles, on expérimente ou on perpétue selon les âges ce que les anciens appelaient la liberté, celle-là même que d’autre pendant ce temps-là, espèrent devant leur petit ou grand écran, c’est au choix…
Au milieu de la ville, comme un mensonge sur le nez de Pinocchio, le « building des loisirs » s’érige en maître des lumières. Considéré comme le plus grand centre commercial de la région, la ville en a fait un lieu de débauche pour ceux d’entre eux a qui la télé ne suffit plus. Seul permission au couvre-feu cérébral imposé, ils y vouent un culte de la dépense pas chère et du sex publicité, se refont les apparats pour se faire adorer d’intouchables déesses aux seins nus et parfois même, au petit matin, ils oseront penser que c’était un bon moment. Sur l’écran géant qu’ils croiseront tous les 100 mètres sur le chemin du retour, le compte twitter de la galerie commerciale leur confirmera leur bonheur, photo à l’appui d’une nuit de dépense… Malgré une surveillance quasi paranoïaque de la sainte église de la décadence, je m’amuse parfois à imaginer un terroriste se faufiler dans les couloirs du nez de Pinocchio ; Il aurait à la main une bombe intellectuelle de 200 pages et jetterait à chaque étage, d’explosifs feuillets sur la liberté de penser… ça n’a plus de sens mais ça me fait marrer. c’est con mais si ; ça m’fait marrer. Ainsi j’observe chaque soir, la bouche pleine mais le sourire aux lèvres, la mue quotidienne d’une ville bipolaire, une ville qui m’est devenue étrangère, une ville que je nargue un poil avant de prendre part au combat…
Ma dernière bouchée avalée, pendant que mon maté refroidit pour devenir buvable, je commence la mise en place du matériel. Derrière un buisson ou un genêt suffisamment touffu, j’installe discrètement le trépied au sol. Ensuite je visse à son sommet les 140cms d’acier de l’antenne et ses trois radiants, de telle sorte que l’ensemble se fonde dans le décor. Alors que je me baisse pour me faire discret aux dernières ombres du jour, j’enfouis correctement sous une fine couche de terre le câble de liaison, car si un drone se laisserait volontiers berner par ma discrète installation, une patrouille aurait vite repéré le petit montage…
Revenu quelques mètres plus loin, paille à la bouche et calebasse à la main je scrute la ville. J’observe en périphérie les check-points des militaires, les allées et venues des drones au-dessus du centre-ville, les quelques gyrophares çà et là qui scintillent. Image sans le son d’une ville qui a la trouille; de loin, d’ici, le silence… Une dernière minute pour profiter de l’instant, une bonne inspiration pour faire le plein d’oxygène puis je me saisis enfin du câble pour le relier à la radio. Brièvement l’écran s’éclaire puis s’éteint. L’émotion me gagne. Bientôt crépiterons dans mes oreilles les murmures nocturnes d’une ville entière, ses secrets, ses peurs et ses excès d’autorité, j’entendrai leurs loi et le droit de leurs armes, mais je parlerai aussi aux miens, ceux de la cinquième colonne, ceux du cinquième pouvoir, ceux par qui l’inhumain ne passera pas. Du ciel au sous-sol la ville me livrera ses ondes, et moi de la tête au pied j’y serais attentif.
Hannnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn un pirate!
Mais que fait la police, bon sang de bois, que fait la police ????!!!!!!
Arrêtez moi cet homme pour délit de liberté d’esprit, c’est pas admissible !
Il n’y a plus de sécurité mon bon monsieur, il n’y a plus de sécurité…
S’exiler de la « conformité », de ce monde en « hibernation » face à la réalité… Pas facile… Mais petit à petit… Je songe au colibris…Alors je fais un pas, puis un autre vers cette ouverture à la conscience. Puis je prend la voiture (trop loin en vélo^^) pour m’enfuir vers mon seul lieu de ressource depuis mon enfance : la campagne. Alors je marche des heures et des heures, le vent dans les cheveux, une paille dans la bouche, les bras à l’horizontal pour sentir cet air frais et revigorant, et le sourire apparait tranquillement sur mon visage pour finir par le faire briller de bonheur et là, me sentant totalement libre, je me met à fredonner puis à chanter. ça me fait tellement du bien!!!! C’est pour moi ma façon de crier, de faire sortir en moi cette rage, cette envie furieuse de tout balancer, cette lassitude, de ce travail sans queue ni tete, casser le cercle vicieux dans lequel tant de personne se sont enfoncés. JE ME REVEILLE ET CA FAIT UN BIEN FOU!!
Alors je comprend ton texte, je comprend ta colère, je comprend ton envie d’évasion vers la réalité du monde et aussi, au contraire, vers le silence qui fait tant de bien parfois. Va, fait ce que tu penses etre le mieux pour TOI, ce qui te donnera l’énergie d’avancer, pense à TOI. Tu as le DROIT! […]